Dur, dur l'apiculture !

Depuis quelques années, un déclin de la population des abeilles est observé à l'échelle mondiale. En effet, il existe aujourd'hui en Chine, des zones, où les pollinisateurs ont disparu. Aux Etats-Unis, les pertes moyennes annuelles des colonies se situent autour de 35% (jusqu'à 50% pour l'hiver 2006-2007). En Europe, de l'Espagne à l'Angleterre, en passant par la Belgique et la France la situation n'est pas meilleure ...

D'après l'ITSAP (Institut de l'abeille), au niveau national c'est l'Alsace qui est la plus touchée avec des pertes équivalentes à celles des Américains. Localement dans notre secteur, la saison 2014 ne va pas améliorer ces tristes moyennes.

En effet, certains apiculteurs débutants et membres de l'association, ont eu de lourdes pertes soit à la belle saison parmi des colonies récupérées ou en ce début d'hivernage. Les plus expérimentés n'échappent pas à ce fléau. Un professionnel du département, qui avait jusqu'à maintenant conduit son rucher sans problème particulier vient de perdre plus de 40% de son cheptel !

Dans les médias, on peut aussi lire fréquemment que la production nationale de miel n'a jamais été aussi basse et insuffisante, que 30% des essaims disparaissent chaque année dans notre pays (syndrome d'effondrement des colonies).

Aussi, les anciens passionnés depuis plusieurs décennies témoignent de la facilité déconcertante avec laquelle ils pratiquaient l'apiculture 35 ans auparavant, époque où les pertes de ruches étaient rares (inférieures à 10%). Aujourd'hui, on rencontre des apiculteurs découragés et des ruchers abandonnés, d'autres sont en colère car malgré leur expérience et leurs attentions vis-à-vis des abeilles, ils retrouvent leurs colonies anéanties ! Mais que se passe-t-il ?

C'est ce que nous allons essayer de comprendre au travers de cet article qui synthétise les différentes causes énoncées dans la littérature spécialisée.

Rôle des abeilles

Comme tous les êtres vivants, les différentes espèces d'abeilles, domestiques ou sauvages, doivent se nourrir. Leur régime alimentaire les amène à rechercher le nectar et le pollen des fleurs, organe de reproduction d'une majorité de végétaux.

Dur, dur l'apiculture
Le travail à la ruche

Donc en faisant son marché l'abeille va d'une part s'alimenter et pouvoir créer des réserves en ramenant le pollen à la ruche et fabriquer du miel à partir du nectar.

D'autre part, elle va assurer, en passant de fleur en fleur l'action de pollinisation et donc la reproduction des plantes visitées. Au niveau mondial, les pollinisateurs (représentés essentiellement par le groupe des abeilles, bourdons ... ) contribuent à la survie de 80% des plantes. En Europe, ce sont 84% des espèces cultivées qui dépendent des insectes. Sachant qu'une bonne pollinisation permet d'augmenter les rendements et d'améliorer la qualité des récoltes, les pollinisateurs ont donc un rôle économique important. Ce dernier a été mis en évidence par une étude menée par l'Unité Abeille Environnement (INRA PACA) et publiée en 2009. Pour la France, la valeur du service de pollinisation est estimée à 2,8 milliards d'euros ! Mais aussi, les abeilles ont un rôle écologique au niveau du maintien de la biodiversité.

La situation est déjà alarmante car les spécialistes avancent que pour couvrir les besoins en pollinisation du pays, il faudrait trois fois plus de ruches qu'actuellement !

Que se passe-t-il ?

Comme à tout être vivant et comme aux Hommes, seule une nourriture en quantité suffisante et de qualité peut garantir aux abeilles une bonne santé.

Pollens et nectars en quantité insuffisante

Les pratiques humaines engendrent d'énormes modifications de nos campagnes et donc de l'environnement des abeilles. Au niveau agricole, les céréales occupent de gigantesques surfaces qui n'intéressent pas les abeilles contrairement au champs de colza. Ces derniers offrent des quantités de fleurs à butiner considérables, mais sur une période très courte de l'année.

De plus, certaines plantes adventices qui poussent dans ces cultures et dont les périodes de floraison sont décalées par rapport aux espèces cultivées, sont souvent considérées comme indésirables et éliminées. Les conséquences sont donc des périodes où à la belle saison, il y a très peu de nectar et pollens à prélever. Ceci entraîne des phénomènes de disette à des moments où les ruches sont très peuplées avec comme conséquence possible une consommation prématurée des réserves de la ruche ... C'est ce qu'ont mis en évidence des chercheurs du centre d'études biologiques de Chizé (CEBC - CNRS), dans le cadre du programme Ecobee en collaboration avec des spécialistes de l'INRA. Ces chercheurs ont aussi montré que le coquelicot, la deuxième fleur la plus visitée sur la zone d'étude, offrait un pollen d'une excellente valeur nutritionnelle à une période où il n'y avait pas grand-chose à butiner. Pourtant elle est souvent mal considérée et éliminée.

Ces problèmes de famine sont accentués par des prairies dites artificielles. En effet, la diversité floristique y est pauvre comparée à celle des prairies dites permanentes ou naturelles. Aussi des pratiques de fauches très précoces où les plantes n'ont pas le temps de réaliser leur cycle et donc de fleurir ne font qu'accentuer ce phénomène.

Cependant si les agriculteurs gèrent une grande partie de nos paysages ouverts, ils ne sont pas les seuls acteurs. La gestion de nos espaces privés ou publics avec l'élimination de plantes considérées comme indésirables par des actions de nettoyages intensifs contribuent aussi à la diminution de la diversité florale !

Qualité des pollens et des nectars mise à mal

Si pour vivre, il faut une quantité minimale de nourriture, cette dernière doit être diversifiée afin d'apporter à l'organisme l'ensemble les éléments indispensables dont il a besoin. Mais aussi, cette nourriture doit être saine, exempte de tout produit toxique.

Cependant, cette diversité est altérée par les mêmes phénomènes énoncés dans le paragraphe précédent. Ces derniers étant peu compatibles avec les besoins vitaux des êtres vivants. L'aspect qualitatif est quant à lui altéré en grande partie par l'ensemble des produits phytosanitaires utilisés dans les cultures intensives. En effet, une grande étude aux Etats-Unis, a prouvé l'accumulation de 211 pesticides et leurs métabolites (produits déris) dans 887 échantillons de cire, de pollen ou d'abeilles analysés. Et Jean-Marie Sirvins, vice-président de l'UNAF, rapporte encore que le 17 novembre 2014, les services de l'Etat ont enfin présenles résultats des analyses aux apiculteurs sinistrés de deux départements. Les molécules trouvées démontrent bien la responsabilité des pesticides dans la mortalité d'abeilles de fin d'automne 2013.

En France, des chercheurs de l'INRA ont mis en évidence, chez des abeilles soumises à de faibles doses de pesticides, divers dérèglements tels que des probmes de mémorisation, de communication, une décoordination dans les battements d'ailes, une qualité de sperme moindre et chez les larves, des anomalies de développement.

Aussi, ils affaiblissent les insectes qui sont rendus plus vulnérables à certaines maladies d'où une longévité moindre. Des expériences effectuées à l'INRA d'Avignon ont montré que chez les abeilles porteuses du champignon Nosema cerenae (responsable de la nosémose), le taux de mortalité était plus important lorsque les insectes avaient été soumis à un insecticide de la famille des néonicotinoïdes.

La dangerosité de ces produits est fortement accentuée lors- qu'ils sont systémiques et se retrouvent par le fait dans toute la plante suite à l'imprégnation d'une seule de ses parties. C'est alors qu'ils peuvent se retrouver dans les nectars et pollens. C'est ce qui a conduit la Commission Européenne à mettre en place un moratoire de deux ans pour trois molécules de la famille des néonicotinoïdes. Cependant, des scientifiques ont démontré que ces molécules mortifères persistent dans les sols plusieurs années ...

Ajouté à cela, il faut aussi prendre en compte que nos chers insectes ont besoin de boire. Mais que peut-on retrouver dans les gouttes de rosée attrayantes pour les abeilles dans des cul- aux issues du ruissellement de ces parcelles ?

Aussi la gestion des espaces verts et jardins est dans la ligne de mire de la loi Labbé. Le texte prévoit la mise en place de l'objectif « zéro phyto » dans l'ensemble des espaces publics à compter du 1er janvier 2020. Aussi, la commercialisation et la détention de produits phytosanitaires à usage non professionnel seront interdites à partir du 1er janvier 2022. Cette mesure concerne tout particulièrement les jardiniers amateurs.

Ce paragraphe qui relate les problèmes engendrés par les produits toxiques, serait incomplet sans l'évocation de certaines pratiques apicoles douteuses où des produits dangereux et non préconisés seraient utilisés !

Facteurs défavorables supplémentaires

Depuis les années 80, un parasite (une tique), appelé le Varroa, d'origine asiatique, est capable d'affaiblir profondément une colonie. Ce parasite, présent souvent par centaines dans les ruches, suce l'hémolymphe (le sang des insectes) des abeilles et peut être vecteur de maladie.

Aussi, le frelon asiatique est en train de se répandre dans notre pays. Contrairement à notre frelon européen, il est un grand prédateur d'abeilles domestiques ...

Pratiques apicoles intensives

La volonté de produire toujours plus, se retrouve aussi en apiculture. De ce fait, des reines sont sélectionnées, importées d'autres pays et continents, pour prétendre à des essaims dociles et très productifs. Cependant, peuvent-elles aussi bien s'adapter à notre environnement régional, et ont-elles la même capacité à résister aux difrents facteurs défavorables que les abeilles locales ? Une autre conséquence de ces importations est une pollution génétique des souches locales.

Aussi, l'intérêt économique que peut représenter une grosse production de miel, peut faire oublier aux apiculteurs qu'il représente les provisions de nos chers insectes afin que la colonie puisse survivre à la mauvaise saison ...

Des solutions ?

L'apiculture traverse incontestablement une crise sans prédent. Les populations de pollinisateurs décroissent considérablement. De nombreux travaux attestent d'une mortalité anormalement élevée, et donc d'une menace sur la durabilité économique de nombreuses exploitations apicoles, sur la stabilité de certaines productions végétales et des conséquences catastrophiques sur la biodiversité. D'après l'audit de la filière commandité en 2012 par FranceAgriMer, entre 2004 et 2010 on observe une chute de 40% du nombre d'apiculteurs, et une chute de 20% du nombre de ruches en France. Les scientifiques s'accordent pour qualifier les causes de ce dépérissement des colonies d'abeilles de multifactorielles.

Le Ministère de l'agriculture, vient quant à lui, de publier les résultats annuels de suivi du plan de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires, le plan Ecophyto (Plan débuté en 2008, dont l'objectif était une réduction de 50% de l'utilisation des produits phytosanitaires à l'horizon 2025). Il annonce, qu'au niveau national, le recours aux produits phytosanitaires a augmenté de 9,2% entre 2012 et 2013 (Il avait déjà augmenté de 5% entre 2009 et 2013) !

Alors, on peut comprendre la colère d'Henri Clément, porte-parole de l'UNAF lorsqu'il déclare : «Imaginez ce que l'on entendrait si les éleveurs de bovins perdaient tous les ans 30% de leurs vaches!».

Cependant, en ce mois de décembre, le rapport d'évaluation et de vision du plan Ecophyto bapti« Pesticides et agro-écologie : les champs du possible », commandé par le ministère vient d'arriver sur le bureau de Manuel Valls. Les recommandations de ce rapport seront analysées et serviront de socle au lancement d'un nouveau plan Ecophyto plein de bonnes intentions. Mais, on peut y lire, que ce plan, en tant que tel, n'a pas d'emprise sur les systèmes de cultures et les stratégies d'aménagement et de gestion de l'espace, choix influencé par la politique agricole commune ... ce qui est largement regrettable pour notre pays qui est le premier utilisateur de pesticides en Europe et le troisième au rang mondial...

Donc, ne serait-il pas indispensable et urgent que chacun se rende responsable, en menant des actions et des efforts concrets (de production, de gestion, de consommation...) tel que le font déjà les personnes investies dans l'agriculture biologique ou les fermes engagées dans une démarche d'agro-écologie au sein du réseau DEPHY (réseau de démonstration, d'expérimentation et de production de références du plan Ecophyto). Le ministère communique que ces agriculteurs ont réussi à réduire leur recours aux produits phytosanitaires tout en con- servant de bons rendements. De l'attitude de chacun dépendra donc l'apiculture de demain !

Sources bibliographiques :

L'abeille NB
L'abeille domestique
  • SIRVlNS, Jean-Marie. Entre colère et espoir. Abeilles et fleurs, 2014, n0766, p.3. POITIER, Dominique. Pesticides el agro-écologie : les champs du possible. Rapport au premier ministre, 2014, 252p.